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dimanche 8 janvier 2012

Sun Tzu est-il encore d’actualité ?, par Yann Couderc (Sun Tzu France)

Yann Couderc, animateur du blog Sun Tzu France, aborde ici l’actualité de la pensée du célèbre auteur chinois, développée dans son ouvrage L’art de la guerre, écrit il y a environ 2500 ans.



Sun Tzu est manifestement plus présent que jamais. Si ses premières applications au monde de l’entreprise et de l’économie remontent maintenant à quelques décennies, force est de constater que L’art de la guerre est aujourd’hui décliné dans absolument tous les domaines, de l’architecture à la médecine en passant par l’éducation des enfants ou la prochaine campagne présidentielle… Si je trouve assez amusant de recenser toutes ses extrapolations plus inattendues les unes que les autres, une question m’est souvent posée : « Mais au fond, Sun Tzu est-il encore d’actualité ? » La question s’entendant sur le plan militaire, application somme-toute originelle du traité…


J’avoue bien humblement éprouver la plus grande difficulté à y répondre.

Pourquoi ? Un premier cadrage s’avère immédiatement nécessaire : de quels préceptes de L’art de la guerre parlons-nous ? Je me suis récemment fendu de deux articles dans la Revue Défense Nationale [1] exposant les quatre niveaux de lecture qu’il était selon moi possible d’avoir du traité de Sun Tzu : le premier prenait les préceptes au pied de la lettre ; le deuxième cherchait à s’élever au niveau du l’esprit du concept ayant produit les principes, conjoncturels du contexte spatio-temporel de Sun Tzu ; le troisième demandait de se détacher de cette succession de principes pour adopter une vue d’ensemble ; et le quatrième envisageait la possibilité d’une approche holistique du traité, c’est-à-dire le considérant comme une philosophie du tout de laquelle chaque principe de la guerre n’était qu’une déclinaison, là encore totalement conjoncturelle de l’ici et maintenant. Selon moi, plusieurs lecteurs pouvaient donc avoir des interprétations radicalement différentes d’une même injonction de Sun Tzu. D’où ce besoin initial de cadrage : s’il n’existe pas une lecture unique de L’art de la guerre, comment pourrions-nous réellement nous prononcer sur son actualité ? Afin de ne pas rester dans cette impasse, nous considèrerons que la « bonne lecture » de L’art de la guerre est celle systémique, c’est-à-dire le troisième niveau précédemment évoqué (le quatrième étant très difficilement accessible et trop sujet à controverse). Bien sûr, il s’agit d’un postulat.

Nous retombons donc sur notre question : les propos de L’art de la guerre sont-ils dès lors encore d’actualité ?

Là encore, pour ne pas rester dans un flou protecteur, je m’avancerai à affirmer que oui.

Si l’on reprend les six idées forces que l’Américain Mark MacNeilly [2] voit dans L’art de la guerre, nous trouvons :

gagner sans combattre : atteindre l’objectif sans le détruire ;

éviter la force, attaquer la faiblesse : frapper là où l’ennemi est le plus vulnérable ;

duper et se renseigner : gagner la guerre de l’information ;

agir avec vitesse et préparation : manœuvrer rapidement pour vaincre les résistances ;

façonner l’ennemi : préparer le champ de bataille ;

personnalité du chef : commander par l’exemple.

Tous ces préceptes semblent crouler sous le bon sens militaire.

Mais sont-ils suffisants à eux-seuls pour bâtir une manœuvre ? En d’autres termes, face à un scénario donné, l’application des préceptes de Sun Tzu nous livre-t-elle sans ambiguïté une seule solution possible ?

Je pense que oui. Mais l’application qui en résulterait serait forcément différente de celles auxquelles aboutiraient nos MPO, GOP et autre COPD. Pour Sun Tzu, il faut en effet être attentiste face à l’adversaire. Mais attentiste actif, c’est-à-dire en conservant toujours l’initiative et en ne cessant de chercher à modeler l’ennemi pour le façonner de telle sorte qu’il en vienne à produire l’effet attendu : présenter une faiblesse qui sera immédiatement exploitée et conduira à sa perte. Il s’agirait donc là d’une sorte manœuvre en réaction mais avec conservation constante de l’initiative, schéma aujourd’hui imprésentable lors de la conception d’une manœuvre.

Ainsi, « oui » Sun Tzu est encore d’actualité, mais « non » il n’est pas applicable…

Yann Couderc

[1] Sun Tzu est-il difficile à lire ? in RDN novembre 2011 et Une approche holistique de Sun Tzu est-elle possible ? in RDN décembre 2011.

[2] Mark McNeilly, Sun Tzu and the art of modern warfare, Oxford University Press, 2e edition, 2002.

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