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lundi 15 février 2010

"Le Brésil est à la France ce que l'Australie ne sera pas à l'Espagne", par Thibault Lamidel (Deuxième Partie)

Suite à son article sur le partenariat franco-brésilien, Thibault Lamidel nous livre ici en comparaison une petite analyse sur le couple Espagne-Australie, avec en toile de fond l'influence américaine sur ces deux pays.


Le partenariat hispano-australien



Le couple royal espagnol en visite en Australie, en juin 2009


Paradoxalement, ou pas comme nous le verrons, notre étude sur les relations entre Espagne et Australie commence par un petit mot sur les États-Unis, avec lesquels la marine espagnole entretient des liens depuis les années 70 au moins. Un des exemples les plus illustratifs en est le porte-aéronef Principe de Asturias, issu de plans américains de porte-avions d'escorte (imaginé par l'amiral Zumwalt) rachetés par l'Espagne. Mais ce n’est pas un cas isolé. De ses F-18 Hornet en passant par ses Harrier ou ses hélicoptères Sikorsky. Ou encore les frégates O.H. Perry, également acquises auprès des USA pour sa marine. L’Espagne fait largement confiance au complexe militaro-industriel américain.

S'adresse-t-elle pour autant exclusivement au géant transatlantique ? Il faut mentionner tout de même la participation historique de l’Espagne à la constitution d’EADS via Casa. C’est en Espagne qu’est actuellement assemblé l’A400M. Les relations avec la France, en particulier, sont assez anciennes. On peut citer classiquement la vente de Mirage III et F1 et la construction locale de sous-marins Agosta. Mais le cas du Scorpène qui devait témoigner d’un approfondissement des liens sera plutôt le témoignage que le choix stratégique premier est en faveur de l'Amérique (à l’image d’autres nations européennes). L'Espagne a donc dorénavant un sous-marin de « conception nationale », le S80. Et c'est par l'Australie qu'elle a commencé a trouver des débouchés.


Un divorce lourd de sens


Il était convenu que les S-80 espagnols soit dérivés (dans une certaine mesure) du Scorpène, donc du partenariat politique entre la France et l'Espagne. Il n'en fut finalement rien puisque pour certains éléments stratégiques du navire le choix se porta sur des industriels américains. Comment DCNS pouvait-il avaler l'affront ? Ce n'est pas une simple question d'orgueil. L'Espagne a refusé le système français MESMA qui avait besoin de références supplémentaires pour s'imposer face aux Allemands principalement. C'était une réalité que Madrid a dû prendre en compte. Encore plus quand elle a choisi le Tomahawk américain face au Scalp naval qui en est le premier équivalent européen. C'est donc en plus d'une simple querelle commerciale et industrielle, une absence de participation espagnole à un partenariat de plus long terme.


Le tropisme australien


Il fut vite trouvé. L'Espagne participait en même temps que la France au programme de navire amphibie pour l'Australie. Ce genre de navire ne faisait pas partie des relations entre nos deux pays étudiés.

Certes. Mais le résultat fut surprenant. Alors que la France proposait la construction locale des deux navires, l'Espagne remporta le contrat avec construction en Espagne. L'explication couramment admise était que l'Espagne avait proposé son modèle de destroyer anti-aérien dans le cadre d'une offre globale regroupant les deux marchés.

Soit. Mais dans les détails la chose est troublante. La France proposait un navire qui faisait ses preuves et qui existait. L'Espagne n'avait rien de plus que des plans en trois dimensions alors qu'il est souvent admis qu'un armement virtuel n'a que peu de chance d'être choisi. Et pourtant, cela ne l'a pas empêchée de remporter la vente. La France ne pouvait proposer ses frégates Horizon à 800 ou 900 millions d'euros pièce. Bien que le prix soit à relativiser face à une construction d'une série portée de 2 à 5 navres. On ne sait même pas si l'offre fut faite.

Ce qui est certain, c'est que l'Espagne a joué finement. Plusieurs de ses ministres sont passés par l'Australie pour soutenir l'offre. Son croisement des deux marchés était également une très bonne idée.


L'Australie, pierre angulaire de l'intérêt des États-Unis dans le Pacifique


Il suffit de se pencher sur les contrats d'armement de l'Australie pour comprendre. Son choix, par exemple, de s'associer au programme JSF (les Australiens auraient aimer comme les Japonais disposer plutôt du F-22, les États-Unis ont souhaité privilégier le JSF et garder le Raptor pour leur avantage exclusif. Mais avec l’arrivée d’un chasseur russe tentant de devenir l’équivalent du F-22, le JSF fera-t-il le poids ?) permet d'avancer sans trop se tromper que le positionnement stratégique profond de l'Australie est du côté américain. C'est son choix. Elle a dû être aidée par son chef d'Etat britannique et son positionnement géographique surtout.

Mais cela pourrait également expliquer une partie du succès ibérique en Australie. Les États-Unis ont sûrement souhaiter privilégier l'Espagne. C'est un choix somme toute logique puisque les États-Unis dans leur position d'hyperpuissance doivent assurer leur leadership. C'est naturel, qui ne le ferait pas ? L'Amérique ne pouvait qu'utiliser la stratégie britannique dite « de l'équilibrage » qui consiste comme son nom l'indique à équilibrer les puissances sur le Vieux Continent. C'est avec raison qu'elle ne pouvait qu'aider l'Espagne à limiter le poids naval de la France. On peut donc estimer que les deux contrats australiens sont la résultante de cette volonté.

Pour les Etats-Unis c’est aussi un ensemble de partenariats qui s’inscrit dans le projet « d’arc des démocraties ». C’est le sénateur McCain, candidat républicain malheureux à la présidentielle américaine de 2008, qui a popularisé ce concept. Si l’on regarde une carte centrée sur un cœur asiatique autour du couple Russie/Chine, on peut observer que l’Australie et le Japon sont les avant-postes stratégiques de la puissance américaine dans le Pacifique. Mahan affirmait qu’il était vital pour les États-Unis de disposer d’un dispositif militaire dans les îles hawaïennes. Aujourd’hui ce rôle serait plutôt celui de l’Australie et du Japon, en première ligne face à la Chine. Pour ne pas laisser à cette dernière une hégémonie sur les routes commerciales du sud-est asiatique, le partenariat stratégique dit de l’arc des démocraties s’étend jusqu’à l’Inde. Singapour étant, comme toujours, une « base » faisant la liaison entre le premier dispositif et cette dernière.

Nous reviendrons plus longuement dans un autre article sur ce nouvel endiguement.


Les 12 apôtres et le facteur chance


L'Australie souhaite renouveler sa flotte de sous-marins. C'est un choix naturel s'il existe un consensus politique pour maintenir une telle capacité et donc la rajeunir quand le besoin est.

La position politique affirme que le sous-marin est important pour la défense du territoire maritime australien. Et que le développement de cette arme en Asie du Sud-Est ne peut pas laisser indifférente la marine royale australienne. Une étude est actuellement menée pour déterminer si le format à six sous-marins est suffisant. Les premiers résultats indiqueraient que pour continuer à peser sur mer il faudrait doubler ce nombre. Le choix de la propulsion nucléaire a été écarté.

C'est donc un marché de douze unités qui se dessine dans ce coin du monde. Les cartes sont posées. Les Français sont certes présents en Australie et ont même des participations locales (Thalès Australia). Mais si le postulat d'un équilibrage européen est bien vrai alors on peut douter des chances françaises de remporter ce contrat. La France, voire l'Allemagne, pourraient certainement s'en passer. L'Espagne n'a toujours pas eu de débouché pour son S-80. Après la rebuffade turque il lui faudrait une référence étrangère. Il ne lui reste donc que l'Inde (six nouvelles unités) et l'Australie. Bien que les Etats-Unis soit engagés en Inde ils ne peuvent peser sur la décision autant qu'ils le voudraient. L'Inde est dans la même position stratégique que le Brésil. Contrairement à l'Australie dont il est plus facile de guider les pas puisque cette dernière demande presque le chemin à suivre.


L'Histoire ne s'écrit pas, Elle écrit


Il faudrait pouvoir se pencher longuement sur l'état des forces sous-marines australiennes mais ce n'est pas l'objet de cet article. La flotte actuelle est composée de six sous-marins diesel-électrique de la classe Collins. Ils ont été construits localement à Port Adélaïde sous transfert de technologie suédoise de la firme Kockums. Ils ont été mis en service entre 1996 à 2003. Pour résumer la qualité du dispositif, il faut dire que c'est tout simplement une catastrophe. Tout ce qu'une flotte peut redouter, hors le naufrage (et encore...), s'est produit pour l'arme sous-marine australienne : recrutement déficient, matériel en panne, disponibilité défaillante... Une des causes admises en Australie en est l'état de l'industrie de défense locale.

Ce qui permet de basculer sur un questionnement. L'Australie propose un marché plus que durable de 12 unités. Ce qui permet bien des efforts pour abattre les difficultés les unes après les autres. Même s'il sera difficile de compenser toutes les faiblesses actuelles. Si l'industrie sous-marine australienne a besoin d'être réorganisée il faut une expertise. D'autant plus qu'elle n'a pas construit de sous-marin depuis des années. Et ceux qu'elle a construits sont « ratés ». Il faut pouvoir s'investir sur le long terme et avoir un produit lui-même exempt de « gros défaut ». Ce qui n'est pas le cas du S-80 puisqu'il ne navigue pas. Il naviguera sûrement lors de la formalisation du marché. Mais le fera-t-il sans défaut majeur ?

C'est là que le facteur chance intervient. La France a un produit de qualité. De plus, elle a l'habitude des transferts de technologies. Si l'exemple de l'Inde n'est pas brillant, en raison de problèmes typiquement indiens (la corruption et les lenteurs des procédures sont régulièrement dénoncés par tous), les références brésilienne et pakistanaise (pour les plus actuelles, l'Espagne étant aussi une référence française pour la génération précédente) font une très belle carte de visite que n'a et n'aura pas l'Espagne. Le chantier australien s'annonce difficile. Est-ce que le gouvernement australien, après une génération de matériel désastreuse, est prêt à revivre (peut-être) la même chose ?


Le choix de la République impériale américaine


L'Espagne sait avoir un positionnement pragmatique. Cela lui a permis de récupérer des marchés qui ne pouvaient l'être par Washington. Et que les USA ne voulaient pas voir échoir à d'autres, pour équilibrer leurs rivaux et fidéliser leurs alliés. C'est donc un creuset d'opportunités que l'Espagne a trouvé là et qu'elle n'aurait pas eu en faisant un autre choix stratégique.

Seulement, ce choix est à double tranchant. Là où on ne lui amène pas des opportunités, elle se trouve démunie pour en débusquer ailleurs. Et il faut presque que l'Espagne ait un feu vert pour trouver des marchés. Elle est comme suspendue au desiderata de l'impérium américain. Et en plus, l'Espagne a un catalogue somme toute limité. La France lui fournit le S80. Mais que peut-elle exporter d'autre ? Elle peut faire mal sur les navires de surface. Mais de l'aveu même de l'ancien PDG de DCNS ce sont des navires à moindre valeur ajoutée (par rapport à ce que peut rapporter comme bénéfice la vente d'un sous-marin). L'Espagne n'a donc que la navale de surface militaire pour se développer à l'export. Pas de char, pas d'avion, pas d'électronique. Elle n'ira pas bien loin toute seule.


En guise de conclusion


Nous avons donc vu deux choix stratégiques faits par la France et l'Espagne. Les « tailles » de nos deux pays ne sont pas les mêmes. Il faut bien l'avouer et le reconnaître.

Le choix espagnol serait pertinent s'il ouvrait la porte de « marché spéciaux » comme par exemple Taïwan. Un temps on présentait l'avènement du S80 comme une façon pour les Etats-Unis de fournir l'île nationaliste en sous-marins. Les Espagnols doivent l'espérer eux aussi. Aujourd’hui encore les Etats-Unis ont l'intention de signer un nouveau contrat d’armement incluant notamment des systèmes anti-missile Patriot mais toujours pas de sous-marin. Aucune réaction espagnole ou autre pour faire une proposition. La Chine « pèse ». En attendant, l'Espagne reste limitée par la faible profondeur de son catalogue de matériel à exporter. Et elle n'a pas encore prouvé qu'elle pouvait se créer des opportunités. Encore moins dans le cadre d'une stratégie bien définie. Et par son divorce avec la France elle s'est fermé des portes en Europe.

A contrario, la France a trouvé un partenariat plein d'avenir en Amérique latine qui pourra combler de façon aisée la déception espagnole. La stratégie d'indépendance technique et technologique lui donne les moyens de trouver des débouchés que d'autres ne peuvent se créer. Le Brésil en est un grand exemple. Ses relations avec les grandes et petites puissances émergentes ouvre le champ de ses possibilités.

Ce sont donc deux « mondes » qui s'affrontent. D'un côté le système d’alliance tissé par les Etats-Unis autour de ses fidèles alliés stratégiques. De l'autre les puissances émergentes, dont certaines ne s’interdisent pas d’entretenir des rapports fructueux avec Washington, qui sont soutenues activement par la France notamment pour tenter d’atténuer la puissance américaine. Ce n’est pas un choix uniquement fait par notre pays. A bien des égards on peut considérer que les politiques russe et allemande s’inscrivent dans la même démarche.

Toutefois, est-ce une politique durable ? Il faut voir que les puissances émergentes investissent aujourd’hui pour se mettre à niveau technologiquement en systématisant les acquisitions en transfert de technologie. Il est impératif de garder à l’esprit que ce n’est peut-être que la partie la plus plaisante d’un monde multipolaire que l’on cherche à atteindre. Certaines de ces puissances deviendront autonomes pour subvenir à leur besoin d’outils militaires de souveraineté. C’est toute la question du chasseur russe de cinquième génération par exemple où l’Inde est encore un partenaire secondaire. En ce sens où elle contribue surtout à adapter la machine à ses besoins (en biplace). Mais dans quel rapport de force la France pourrait-elle « demain » développer un tel chasseur avec le Brésil ?

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