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samedi 27 juin 2009

Iran-Russie, quelques éléments d'éclairage

En début de semaine, je signalais que l'agence russe RIA Novosti faisait une couverture passablement parcimonieuse des évènements en Iran, après avoir fait souligné par un "expert" dans ses colonnes que le déroulement des élections avait été on ne peut plus démocratique.

Un article en une du portail Geopolitika affirmait également que la Russie devait soutenir Mahmoud Ahmadinejad, sans aucune doute possible la figure la plus favorable à ses intérêts.

On assiste aussi, ici et là (et pas seulement en Iran), à des dénonciations de l'ingérence réelle ou supposée du شيطان بزرگ (Grand Satan) américain et de quelques pays européens, parmi lesquels la France et l'Allemagne. Cependant, la Russie (ou l'URSS) a également de son côté une certaine histoire commune avec le pays des mollahs. Sans remonter à l'époque des Qajars, les deux pays ont entretenu, depuis la Révolution de 1979, une relation multidimensionnelle et complexe. Auparavant alliée des États-Unis, la Perse révolutionnaire, notamment après la prise d'otage à l'ambassade des USA, s'est retrouvée relativement isolée. La répression et l'élimination de l'opposition du début des années 1980 est notamment néfaste au Toudeh, le parti communiste iranien, et donc aux relations avec l'URSS. Il faut donc attendre la fin des années 1980 et la mort de Khomeini pour que s'opère un dégel des rapports Iran-Union Soviétique (puis Russie).

Et au cours des dernières années, de même que la Chine d'ailleurs, la Russie s'est souvent positionnée du côté de l'Iran, ou plutôt entre ce dernier et le reste de la communauté internationale, et notamment les États-Unis. Pour autant, leurs intérêts ne sont pas convergents sur tous les sujets.


Le territoire en guise d'introduction

Pour démarrer, rien de tel qu'un petit ancrage cartographique. Voisins à l'époque de l'URSS, Russie et Iran sont désormais séparés par les nouvelles républiques du Caucase (Géorgie, Arménie, Azerbaïdjan) et d'Asie Centrale (Turkménistan, Kazakhstan, Ouzbékistan), et bien sûr par la mer Caspienne. Toute cette zone est extrêmement riche en hydrocarbures (nous y reviendrons plus loin).

Iran, Russie et autres pays autour de la Caspienne
crédits : wikipedia anglophone

Rappel utile, l'Iran a une frontière avec l'Afghanistan, qui a joué un rôle de premier plan dans les dernières années de l'URSS, et qui continue d'être au cœur de l'actualité mondiale aujourd'hui.

Au niveau religieux, l'Iran est bien entendu majoritairement chiite, de même que l'Azerbaïdjan. Turkménistan, Ouzbékistan et Kazakhstan sont principalement sunnites. La Russie est chrétienne, comme l'Arménie et la Géorgie (ces trois pays sont orthodoxes, chacun ayant sa propre église). Elle a donc besoin d'un soutien musulman au Moyen-Orient ou en Asie Centrale pour garder la main (ou une influence) dans ses anciens co-républiques soviétiques.

Le nucléaire (civil)


La mort de Khomeini, en 1989, signe la relance du programme nucléaire civil de l'Iran. Il avait été lancé après l'Opération Ajax sous le Shah, un réacteur étant construit à des fins de recherche dans les années 1960. Reza Pahlavi était très ambitieux concernant le développement de l'atome, puisqu'il visait le nombre de 23 centrales à horizon 2000. En 1968, l'Iran signe le TNP et en 1975, les Allemands de KWU remportent le projet de construction de la centrale de Bushehr, qui sera abandonné alors que les travaux sont inachevés après la Révolution car le premier Guide Suprême y est hostile, la guerre contre l'Irak jouant également le rôle de facteur bloquant.

Les Iraniens s'adressent aux Russes, car l'embargo les empêche de solliciter de nouveau KWU. En 1995, un accord prévoyant la construction d'un réacteur à eau légère d'1 GW à Bushehr, sur le Golfe Persique, est signé pour un montant d'environ 1 milliard de dollars. Une somme non négligeable pour la Russie de Boris Eltsine et son l'économie chancelante.

Le projet, qui devait initialement se terminer en 2000, est cependant marqué par des problèmes techniques (incompatibilité des infrastructures originelles de KWU et du réacteur russe, transfert de compétences vers les Iraniens...) mais surtout géopolitiques. La Russie, qui ne veut pas trop se mettre à dos les Américains et les Européens sur le dossier du nucléaire iranien, ralentit les travaux. On se souvient également que pour apaiser la situation, Vladimir Poutine avait proposé que l'enrichissement de l'uranium se fasse sur le sol russe, ce qu'ont refusé les Iraniens, soucieux de maîtriser la quasi totalité du cycle. Ce qui effraie la communauté internationale, qui a peur qu'ils ne cherchent à fabriquer du plutonium ou de l'uranium hautement enrichi à des fins militaires. L'autre élément principal d'une force de frappe nucléaire étant le missile balistique, sur lequel l'Iran a apparemment plutôt coopéré avec la Corée du Nord.

Ces tensions ont connu leur apogée en 2006, lorsque la Russie se joint aux autres membres du Conseil de Sécurité de l'ONU pour voter des sanctions dures contre l'Iran d'Ahmadinejad (résolutions 1696 et 1737 notamment). Celui-ci comprend que la Russie est difficilement remplaçable sur ce sujet, et signe avec elle des contrats pour d'autres réacteurs. Histoire de se rabibocher un allié incontournable.

En décembre 2007, la Russie a commencé les livraisons de combustible nucléaire. En mars dernier, le directeur de Rosatom, l'agence russe de l'énergie atomique, a annoncé que les travaux étaient enfin terminés. La production devrait commencer dès le mois d'août prochain, la pleine capacité étant atteinte à partir de mars 2010. Les tranches suivantes sont toujours à planifier...

La salle de contrôle de Bushehr
crédits : javno.com

L'armement

Sous le Shah, l'Iran importait massivement des armes des Etats-Unis et d'Europe. Au début des années 1970, c'est presque 10 milliards de dollars qui furent dépensés en acquisition auprès de l'ami américain.

Mais tout cela a bien changé. L'Iran est depuis une vingtaine d'années l'un des principaux clients de l'industrie de l'armement russe. Un peu comme avec le nucléaire, la Révolution (et la rupture totale avec les Etats-Unis) et la Guerre contre l'Irak ont joué le rôle de catalyseur, en isolant l'Iran et en l'empêchant de développer ses propres technologies. D'autant qu'en face, là encore comme sur l'énergie atomique, la Russie post-soviétique du début des années 1990 et son secteur marchand ont besoin de débouchés.

Il s'agit donc d'une entente profitable aux deux, même si évidemment la Russie, qui restructure actuellement (mais rien de neuf) son secteur défense (de même que plus globalement l'ensemble de son économie, de plus en plus dirigée depuis le Kremlin), se cherche d'autres marchés.

Par ailleurs, la "base industrielle de défense" iranienne s'est énormément développée sous l'impulsion des Pasdaran, qui ont été chargé de mettre en oeuvre un secteur tendant vers l'indépendance vis-à-vis de l'extérieur (la loi d'Amato-Kennedy n'y étant pas totalement étrangère). Initialement énormément assistés par les Russes donc, mais également les Chinois et les Nord-Coréens, les Iraniens sont de plus en plus autonomes, excepté dans le domaine aéronautique : ils fabriquent des tanks, des radars, des hélicoptères, des UAV, des missiles bien entendu, des bateaux, des sous-marins, des armes de poing...très souvent par le biais d'un reverse engineering basé sur un produit américain ou russe. Et depuis quelques années l'Iran est également devenu un pays exportateur d'armes (certes encore modeste par rapport aux USA ou à la Russie).

Un chasseur Saeqeh-80 de fabrication iranienne
crédits : Ehsan1388

Bref, l'armement est comme le nucléaire un domaine stratégique sur lequel Iraniens et Russes ont des intérêts liés, même si l'indépendance croissante des uns et les clients tiers des autres font que leurs chemins ne sont pas confondus.

Le pétrole et autres hydrocarbures

On l'a vu plus haut, l'Iran et la Russie ont en commun d'être proches de la Caspienne, région riche en hydrocarbures. La fin de l'URSS et la Guerre du Golfe ont poussé les États-Unis, soucieux de sécuriser leur approvisionnement et d'éviter que certains pays de la CEI ne restent sous la coupe russe, à lancer des projets avec ces nouvelles républiques d'Asie Centrale et du Caucase (pour plus de détail voir cet article). La Russie voit ainsi la mise en oeuvre de nombreux pipelines qui la contournent, et notamment le Bakou-Tbilissi-Ceyhan de 1768km reliant la Caspienne à la Méditerrannée (cf. ci-dessous) : elle perd un peu la main dans son jardin.

Le pipeline Bakou-Tbilissi-Ceyhan
crédits : russianblog.org

De son côté, l'Iran, dont le territoire est riche en hydrocarbures, voit son potentiel sous utilisé, la faute à un manque chronique d'investissement et des capacités de production trop faibles, en partie dus à la loi d'Amato. Aussi il accueille avec plaisir les compagnies russes (Gazprom notamment) et chinoises (CNOOC) qui souhaitent explorer, exploiter des gisements et remettre en état les puits de forage et les raffineries iraniennes; bref, moderniser un peu tout ça.

La Russie, en retour, y trouve un ancrage caspien dans LE pays de la région non soumis aux États-Unis.

L'Organisation de la Coopération de Shanghai (OCS)

L'OCS est une organisation intergouvernementale regroupant la Russie, la Chine, le Kirghizstan, l'Ouzbékistan, le Kazakhstan et le Tadjikistan. Elle porte sur une coopération économique et politique. L'Iran en est observateur (de même que l'Inde et le Pakistan). Il est ici intéressant de noter que la population totale des 6 états membres dépasse les 1,5 milliard d'habitants, et que si l'on ajoute celle des pays observateurs, on dépasse les 2,7 milliards.

Le 24 mars dernier, lors d'une visite au Tadjikistan, le ministre iranien des affaires étrangères a annoncé que son pays avait déposé officiellement une demande d'adhésion à part entière à l'OCS. Il s'agit pour la pays des mollahs, au travers de cette adhésion, de rentrer pleinement dans le concert des nations, qui plus est dans une vaste région où il souhaite consolider et accroître son influence.

Comme le souligne RIA Novosti, l'Iran a déployé des efforts colossaux pour s'attirer les grâces des membres, mais sait que Pékin, qui souhaite ménager l'Occident et les Etats-Unis, sera l'obstacle numéro un :
En ce moment, l'Iran est un des principaux agents économiques précisément dans la zone des intérêts naturels de l'OCS: la région de la Grande Asie centrale (GAC), où s'implantent activement les Etats-Unis au grand dam de Moscou.
Les mérites de l'Iran dans cette région sont évidents. Il suffit de citer la construction de deux tunnels au Tadjikistan et des deux centrales hydroélectriques de Sangtouda et Chourabskaïa, les plus grandes de la région. Douchanbé (capitale du Tadjikistan) a également choisi le partenaire iranien pour un projet stratégique sur le plan régional: la construction d'un chemin de fer qui reliera le Tadjikistan, l'Afghanistan (enfin!) et l'Iran. Ce dernier est également chargé de créer des zones de libre échange au Tadjikistan.
Téhéran est passé maître dans l'art de la tactique. Sa demande officielle d'adhésion ne fait pas exception. Pour Moscou et Pékin (adversaire numéro un de l'Iran à l'OCS), principaux fondateurs et gardiens des principes de l'organisation, cette initiative iranienne est certainement un problème difficile, car une demande officielle implique une réponse officielle.
Et si la Russie appuie l'entrée de Téhéran, c'est encore une fois pour une question d'influence en Asie Centrale, une zone décidément "attaquée" par les Américains, avec l'Afghanistan pour point focal :
L'Iran déploie des efforts non moins énergiques en vue de pénétrer sur les marchés d'autres républiques d'Asie centrale, notamment le Kirghizstan et le Turkménistan. Il convient de mettre l'accent sur l'Afghanistan, car les Etats-Unis tentent d'attirer toutes les républiques d'Asie centrale vers ce pays, et de les arracher à l'influence de Moscou. C'est pourquoi la Russie cherche à entraîner l'Afghanistan dans l'OCS, mais, pour l'instant, ses efforts s'avèrent peu fructueux. En Afghanistan, l'Iran est traditionnellement présent sur les plans économique, culturel et politique plus que tous les autres membres de l'Organisation de coopération de Shanghai.
L'Iran de son côté joue plus ou moins son rôle de "caution musulmane" de la Russie dans la région, notamment en intervenant comme médiateur (pour rappel, l'Iran est fortement soupçonné d'avoir participé à la guerre civile du début des années 1990) au Tadjikistan dans le conflit entre le Nahzati Islomi Tojikiston (Parti de la Renaissance Islamique du Tadjikistan) et le Hizbi Demokrati-Khalkii Tojikston (Parti Démocratique Populaire du Tadjikistan).

Conclusion

On l'a vu, le rapprochement Russie-Iran s'est fait sur des domaines stratégiques (énergie, armement), très souvent dans le cadre d'une opposition plus ou moins directe aux États-Unis, et encore plus souvent par la rencontre d'intérêts convergents et circonscrits. Le cadre géographique de leur relation est naturellement le Caucase et l'Asie Centrale, terre d'affrontement économique avec les USA. Bien sûr les sujets de désaccord ne manquent pas, et notamment une position un peu trop radicale sur le dossier nucléaire ou des histoires de concessions en Mer Caspienne.

De plus, si la Russie a besoin de l'allié iranien, à la fois pour ses débouchés mais également pour faire contrepoids à l'influence unilatérale américaine, elle n'a pas forcément tout à gagner d'un Iran nucléarisé et extrêmement puissant, qui viendrait à son tour empiéter potentiellement sur ses plates-bandes dans le Caucase ou en Asie Centrale.

Enfin, la Russie, sur le dossier iranien, est à la fois allié et adversaire de la Chine, autre poids lourd de l'OCS, qui a des visées sur le marché intérieur et les ressources de l'Iran, mais qui doit également composer avec son désir de puissance globale.

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1 commentaire:

GH a dit…

Merci pour cet article.

Il faut aussi signaler que la Russie est l'un des premiers partenaires commerciaux de l'Iran.