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lundi 25 mai 2009

Russie-Europe : le cas de la Transnistrie

Ce mois-ci, le thème proposée par l'AGS est La Russie en Europe ou face à l'Europe ?. Le court article qui suit est une analyse sommaire, par un non spécialiste, d'un sujet qui concerne au premier chef l'Union Européenne et son voisin russe, mais qui rencontre relativement peu d'échos dans la presse depuis une quinzaine d'années ou même ces temps-ci, malgré la proximité des élections européennes (deux semaines à l'heure où j'écris).

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Début mai, l'Union Européenne a lancé un partenariat avec six anciens états soviétiques. Parmi ceux-ci, la Moldavie, successeur de la République socialiste soviétique de Moldavie (RSSM), créée par le Soviet Suprême en 1940 à la suite du Pacte germano-soviétique, et indépendante depuis 1991. Elle compte environ 4,3 millions d'habitants, dont 650 000 pour Chisinau, sa capitale. Son territoire est enclavé entre la Roumanie, au sud-ouest, et l'Ukraine, au nord-est : il correspond principalement à deux tiers de l'ancienne Bessarabie, prise aux Roumains par l'URSS, l'autre tiers étant revenu à l'Ukraine.

La Transnistrie intégrée à la Moldavie

Mais pas seulement, car Staline était taquin quand il dessinait les frontières de ses républiques socialistes soviétiques. Ainsi fut rattachée à la RSSM la Transnistrie, une bande de terrain sur la rive gauche du Dniestr (son nom signifie littéralement "au-delà du Dniestr", et auparavant rattachée à l'Ukraine (plus précisément à la République autonome socialiste soviétique de Moldavie, créée dès 1924, qui appartenait à l'Ukraine). Au départ largement peuplée de Moldaves, la Transnistrie, sous l'impulsion soviétique, a connu une arrivée conséquente d'immigrants russes et ukrainiens à partir des années 1960. Si bien qu'en 1989 les Moldaves ne constituaient plus que 40% de sa population, estimée à 550 000 personnes en tout.

crédits : wikipédia

Les troubles du mois d'avril

Les évènements du mois dernier, qui ont vu des manifestations pacifiques de masse mais également de pillage dans les rues de Chisinau, suite aux élections du 5 avril, remportées par le parti du président communiste Voronine, sont caractéristiques de la situation moldave depuis sa sortie de l'URSS : un tiraillement constant entre l'Est et l'Ouest. Les drapeaux roumain et européen déployés sur le toit du Parlement par des casseurs ont bien entendu provoqué des accusations d'ingérence, notamment de la part des Russes, envers la Roumanie qui a aussitôt démenti...

D'autres y voient une opération rondement menée de "false flag", les "casseurs" agissant avec la complicité d'une partie de la police sous la houlette russe. Un échange de bons procédés en quelque sorte, entre deux entités, les pouvoirs moldave et russe, qui ne s'apprécient pourtant guère : tu t'assures que le parti prorusse m'apporte son soutien dans ces élections, que l'opposition qui manifeste contre moi est décrédibilisée, et en échange je t'offre une occasion de mettre la Roumanie et l'UE en porte-à-faux. Une explication moins compromettante pour Voronine consiste en l'implication exclusive de son Ministre de l'Intérieur, George Papuk, en vue de freiner l'élan pro-occidental de la Moldavie.

Des manifestants moldaves brandissant le drapeau de l'UE sur le Parlement à Chisinau
crédits : LA Times

Bref, ces troubles sont révélateurs de l'influence que continue d'exercer le géant russe sur la petite république moldave depuis son indépendance. Petite république qui est une voisine directe de l'Union Européenne depuis que la Roumanie en fait partie. Oui, encore un voisin turbulent...car pour en revenir à la Transnistrie, bien qu'elle fasse partie du territoire moldave, elle n'a jamais réellement été sous son autorité, son statut étant source d'un conflit qui dure depuis 18 ans.

Petit retour en arrière

Lorsque la Moldavie accède à l'indépendance, en 1991, elle demande à la 14ème armée russe, stationnée sur son territoire, de se retirer. Ce que cette dernière fait en partie, puisqu'elle installe ses quartiers à Tiraspol, "capitale" de la Transnistrie. La Moldavie a déjà décidé que le Roumain serait la langue officielle unique sur l'ensemble de son territoire. Les Russo-Ukrainiens, majoritaires en Transnistrie, s'en emeuvent, et un "référendum" organisé fin 1991 dans la région indique que la population locale demande l'indépendance pure et simple.

En 1992, la République de Transnistrie est proclamée unilatéralement, avec Tiraspol pour capitale. Une guerre s'ensuit, mettant aux prises l'armée de Moldavie face à des rebelles transnistriens russophones et la 14ème armée russe, avec à sa tête un certain Lebed. Fin 1992, un accord est signé entre la Moldavie et la Russie de Boris Eltsine. Une force de maintien de la paix de la CEI (à majorité russe) est déployée à la "frontière" transnistrienne.

Depuis règne une sorte de statu quo, consolidé par le Mémorandum Primakov établi à Moscou en 1997, et qui permet notamment à la Transnistrie une certaine autonomie sur le plan économique, tout en restant une région moldave. Mais statu quo ne signifie pas abolition des griefs ou même paix. Tiraspol accuse Chisinau d'asphyxier son économie (qui n'a vraiment pas besoin de ça !) avec la complicité de Kiev, notamment après
  • l'introduction dès 2006 d'une disposition obligeant les entreprises transnistriennes qui souhaitent exporter à s'enregistrer auprès de l'administration centrale moldave
  • la mise en place de taxes prohibitives sur certaines matières et produits par l'Ukraine, passage obligé de nombreuses exportations transnistriennes (cf. carte ci-dessus)
De son côté, la Moldavie promeut une image largement négative de la Transnistrie, qui n'est pour elle qu'une région sécessionniste, auprès de la communauté internationale, mettant en avant les trafics d'armes qui s'y déroulent, et qui alimenteraient de nombreux conflits de par le monde, ainsi que les entorses aux Droits de l'Homme de ses dirigeants.

Et l'Union Européenne dans tout ça ?

En 2003, le Conseil de l'UE adopte, dans le cadre de la PESC, une position hostile aux dirigeants transnistriens, les accusant d'empécher la résolution du conflit et leur imposant des restrictions relatives à leur circulation sur le territoire communautaire. De même le Parlement Européen a pris de nombreuses résolutions condamnant les atteintes aux Droits de l'Homme observées sur le territoire moldave, mais plus spécifiquement transnistrien, et notamment l'emprisonnement de journalistes indépendants. Parallèlement, l'Union Européenne note les efforts de la Moldavie pour se rapprocher d'elle, notamment par l'intermédiaire de son voisin roumain.

Pour le reste, il est assez désolant de constater que l'Union Européenne est largement hors du coup au profit de Washington (subventions afin de moderniser l'armée moldave) et de l'OTAN (participation de la Moldavie aux opérations Cooperative Longbow/Lancer en 2006* et accords bilatéraux avec l'OTAN au sein du Partenariat pour la Paix) mais surtout de Moscou, malgré une mission d'observation débutée en 2005. Une situation d'autant plus regrettable que, comme indiqué plus haut, la Transnistrie se trouve tout prêt de sa frontière orientale. Et que l'existence d'une zone de conflit militaire larvé si près est inacceptable. Ceci marque une fois de plus les lacunes de l'UE en termes de géopolitique de proximité, qui se projette difficilement au-delà du rôle de "médiateur".

La Russie en position de force ?

La situation de la Transnistrie en rappelle partiellement deux autres : l'enclave russe de Kaliningrad et le Kosovo. Ainsi, au vu du déroulement du dossier kosovar (déclaration unilatérale d'indépendance suivie de la reconnaissance par de nombreux pays occidentaux dont les USA et la France), la Russie a beau jeu d'appeler à ne pas en faire un cas isolé, une exception en somme, comme le souhaiteraient les Américains, peu enclins à satisfaire toutes les tentations indépendantistes en Europe ou ailleurs.

Pour Moscou, les régions séparatistes géorgiennes ou la Transnistrie sont à considérer de façon équivalente. Et les minorités russes d'Europe Centrale et Orientale sont à protéger au même titre que les Albanais du Kosovo. La Russie essaie de mettre les USA face à leurs contradictions et leur "deux poids, deux mesures". Tout en faisant attention aux situations en Tchétchénie et au Daghestan : oui au droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, mais au cas par cas. En bref, oui quand ça m'arrange et non dans le cas contraire. Du "faites ce que je dis, pas ce que je fais", mais après tout c'est, malheureusement, le lot des relations internationales.

Il convient de mentionner le fait que sur le Kosovo, l'UE n'a pas non plus une position commune, puisque des pays comme l'Espagne, la Grèce, la Roumanie ou la Slovaquie ne reconnaissent pas son indépendance, souvent pour des raisons de politique intérieure. Il en est de même, assez logiquement, pour la Moldavie.

Un "référendum" transnistrien encouragé par la Russie en septembre 2006 a conclu à une écrasante victoire du oui à l'indépendance et au rattachement à la CEI. L'UE comme l'OSCE, contrairement au gouvernement russe, ont indiqué que ce vote n'était pas régulier et que ses résultats ne seraient pas reconnus.

Pendant ce temps, à l'approche de l'élection du président moldave par le Parlement le 28 mai, la Russie continue de jouer l'intox : ainsi le Ministère des Affaires Etrangères se dit optimiste sur la possibilité d'un règlement pacifique de la situation, tout en stigmatisant les carences institutionnelles en Moldavie, ou en relayant les dénonciations des provocations nationalistes roumaines. En attendant, la position officielle de Moscou reste celle d'une intégrité territoriale de la Moldavie, avec une autonomie réelle pour la région transnistrienne.

En conclusion

Bien qu'aux portes géographiques de l'UE, le dossier transnistrien échappe largement à cette dernière. Il prend pour l'instant des airs de conflit post Guerre Froide entre les USA et la Russie, déterminée à ne pas perdre sans combattre sa traditionnelle zone d'influence héritée de l'URSS, au profit de la démarche américaine de containment.

L'avenir proche et moins proche

Quels scénarios sont possibles dans le futur à moyen ou long terme ?
  • Un statu quo avec plus ou moins d'autonomie réelle accordée à la Transnistrie, et des progrès réels sur les plans sociaux et économiques, aun double rapprochement UE/CEI, avec en toile de fond les figures de Washington et de l'OTAN : est-il concevable qu'un état tel que la Moldavie ait des relations équilibrées entre les 3 (voire 4) entités ?
  • Un rattachement de la Moldavie en l'état à la Roumanie, peu probable, au vu de l'hostilité de Moscou et de la Transnistrie, ainsi que de nombreux moldaves
  • Une intégration de la Moldavie en l'état à l'UE, sans avoir réglé au préalable le problème transnistrien, ce qui rappellerait, à une autre échelle et avec la Russie à la place de la Turquie, le cas chypriote, pas forcément glorieux pour l'Europe
  • Une divergence de destin entre Moldavie et Transnistrie, qui accèderait à l'indépendance et se rapprocherait de la CEI pendant que son nouveau voisin ferait de même avec la Roumanie et l'UE
A suivre dès le résultat des élections moldaves connu...

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*A noter que la Moldavie a refusé, au nom de sa position de neutralité inscrite dans la constitution, de participer aux manoeuvres Longbow/Lancer de 2009, qui se déroulent en ce moment même.

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