A la Une

Mon Blog Défense

jeudi 26 mars 2009

Partie d'échecs chinois dans l'espace

Les statistiques compilées depuis des décennies le montrent : aux échecs, il vaut mieux avoir les Blancs et jouer en premier. Dans de nombreux domaines, celui qui a l'initiative et bouge le premier bénéficie d'un ascendant (potentiel et à exploiter) sur ses concurrents ou adversaires, notamment parce qu'il a la capacité à définir certaines règles du jeu à venir.

Ceux qui sont familiers avec la stratégie d'entreprise connaissent le terme de "first mover advantage" ("prime au premier entrant" en français), selon lequel celui qui entre en premier de façon significative sur un marché se dote d'un avantage concurrentiel :
  • Préemption de ressources rares (matières, équipements, positions)
  • Dépôt de brevets et de droits commerciaux
  • Tissage de liens avec les parties prenantes de l'écosystème (fournisseurs, clients, prospects...)
  • ...
Bref, de quoi mettre de sérieux bâtons dans les roues des suiveurs, même s'il faut également s'attendre à essuyer des plâtres à tous les niveaux. Et si finalement, ce n'est pas tant l'idée originale qui compte que sa mise en oeuvre concrète.

Fin de la digression, pour s'attaquer au coeur du sujet : les Chinois vont-ils devancer les Européens dans la quête du prochain concurrent au GPS américain ? Vont-ils, en fait, être les first-movers pour la seconde place (si l'on exclut le GLONASS russe lancé en 1982, dont la constellation a été achevée en 1995) ?
On peut se poser la question, et de plus en plus sérieusement. Après le premier taïkonaute, Yang Liwei, en 2003, un autre coup de force commercial vient d'être réalisé en ce début 2009 par le programme spatial chinois : le lancement en 2010 par une fusée Long March d'un satellite pour le compte d'Eutelsat, qui ouvre ainsi la chasse gardée d'Arianespace. Jusqu'alors cantonnée aux contrats de second rang comme le satellite lancé en octobre 2008 pour le Vénézuéla, la Chine aurait été sélectionnée par l'opérateur de télécommunications pour des raisons de coûts, de liste d'attente très longue côté Ariane, mais également parce que la qualité de service offerte par l'Empire du Milieu semble équivalente (crime de lèse-majesté ?).

Petit retour en arrière...Années 1970, en pleine Guerre Froide. Les Etats-Unis mettent en oeuvre ITAR (International Traffic in Arms Regulation) qui vise notamment à éviter que des technologies sensibles (dont tout ce qui touche aux satellites) ne tombe entre de mauvaises mains (par exemple, les chinoises).

Bref, les Américains se trouvent fort dépourvus aujourd'hui car le satellite W3B en question est garantie "sans technologie américaine", et que les troupes américaines en Irak et en Afghanistan sont d'une façon générale clientes d'Eutelsat. Ironie du sort, ITAR a encouragé le développement des savoir-faire en satellites en Europe (notamment chez Thales Alenia Space) et donc aujourd'hui en Chine, en même temps qu'il a fait perdre de nombreux marchés aux industriels américains. D'ailleurs, de nombreuses voix s'élèvent outre-atlantique pour qu'Obama y mette un terme ou l'aménage sérieusement.

Les Chinois ne veulent pas s'arrêter là : selon des informations diffusées ces jours-ci, ils se sont lancés dans la mise en oeuvre de leur propre système GPS, qu'ils comptent bien rendre opérationnel avant Galileo, celui des Européens...

Galileo, qui connaît depuis son lancement de nombreux problèmes, à la fois de financement mais également de gouvernance (chaque pays ayant tiré en faveur de ses propres entreprises de défense et télécoms) et de coopération industrielle...un exemple qui montre que l'espace économique européen de défense intégré et ouvert n'est pas encore pour demain. Galileo devrait être totalement déployé (constellation de 30 satellites) en 2013, soit avec cinq ans de retard sur les prévisions initiales.

Une course (majoritairement) en aveugle s'engage avec la Chine, qui malgré la crise dispose d'un trésor de guerre impressionnant, d'une expertise en développement rapide, d'une volonté de fer, et qui ne connait pas les atermoiements de l'intergouvernemental européen.
Une course, car selon une clause, dite du "first mover", de l'Union Internationale des Télécommunications (UIT), la Chine pourrait bien s'approprier les bandes de fréquence sur lesquelles compte Galileo.

Menée par un état fort et volontariste, la conquête spatiale chinoise avance à grand pas. Pour le moment essentiellement symbolique, l'effort pourrait dans un avenir très proche investir de façon plus importante les champs commerciaux et militaires, posant un sérieux défi aux puissances occidentales (et russe, japonaise et indienne par la même occasion).
Les Chinois, rarement first movers et souvent raillés pour leur comportement de copieurs sans scrupules et sans imagination, pourraient en surprendre plus d'un !

Partager cet article :

Facebook Twitter Technorati digg Delicious Yahoo Reddit Newsvine

Aucun commentaire: