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mardi 24 juin 2008

Retour à froid sur le Livre Blanc de la Défense

Chose promise, chose due, même si une semaine après sa parution, tout a déjà été dit (enfin, ce qui peut l'être à ce stade) à propos du dernier Livre Blanc de la Défense, sorte de schéma directeur pour les quinze prochaines années.

Le précédent, datant de 1994, introduisait une rupture assez franche dans la stratégie française (et ce qui faisait sa spécificité) en vigueur depuis les années 50-60 : emphase sur les capacités de projection, reconfiguration importante de la dissuasion nucléaire avec l'arrêt des essais "réels" et le désarmement du plateau d'Albion.

Celui-ci, comme déjà discuté ici, met en avant de "nouvelles" menaces, de types différents (étatiques, terroristes, criminelles...), très disséminées, "floues" ou virtuelles...bref, globalisées comme l'économie, dans un contexte de prolifération. Tout ceci bien sûr rapproche les considérations de sécurités intérieure et extérieure, mais s'accompagne d'une redéfinition de l'espace "stratégique" de la France, s'étendant (ou plutôt se contractant) dans un arc allant de l'Europe à l'Asie.

Si la dissuasion nucléaire reste prioritaire, quoique réduite dans sa composante aéroportée, et que la menace balistique est considérée comme majeure, l'accent est mis sur le renseignement (spatial, informatique), mais aussi les nouvelles formes de combats, notamment les théâtres urbains. En somme, un Livre Blanc fortement teinté de Network Centric Warfare et de Guerre de l'Information, sur fond de conflit asymétriques (mais en gardant la porte ouverte aux conflits "classiques"). Tout ceci dans un but d'efficience des moyens engagés, par une meilleure connaissance tactique et stratégique, et donc un contournement des règles de la "guerre d'attrition" classique. Certains gradés sous couvert d'anonymat dénoncent le recours à des "gadgets", masquant les lourdes réductions d'effectifs. Concernant ces dernières, on ne sait pas encore exactement quelles bases seront touchées, et si elles impacteront principalement les personnels civils (ouvrant la voie à une externalisation poussée auprès d'industriels privés) ou militaires (et donc par ricochet diminuant les besoins en services). On sait cependant que les forces projetables seront ramenées de 50000 à 30000 soldats. Tout ceci suscite une grande inquiétude dans les milieux militaires (d'ailleurs une autre idée de post que je dois exploiter : les militaires sont-ils sarkozystes ?), en attente de la nouvelle carte qui devrait être dévoilée par Hervé Morin le 3 juillet.

Concernant les programmes en cours, certains vont être étalés, notamment les frégates FREMM, les missiles SCALP ainsi que les Rafale. Priorité est donnée, au détriment de la quantité, au bon maintien en condition opérationnelle des équipements (pour rappel, 200 milliards d'euros sur les 377 milliards prévus jusqu'en 2020). Juste une remarque : où se situe le lourd char Leclerc dans ce réajustement stratégique ?

On peut voir derrière tout ceci, comme certains une logique avant tout, voire quasi exclusivement, budgétaire, habillée d'éléments de doctrines en vogue. Même si les économies dégagées, selon le Ministre de la Défense, seront réinvesties dans la Défense. Il convient de rappeler que de nombreux généraux ont exprimé leur mécontentement quant à la composition du comité en charge de la rédaction du Livre Blanc, trop "civil" (i.e. étranger à la chose militaire) à leur goût.

Nicolas Sarkozy, en présentant le Livre Blanc, a appelé de ses voeux une consolidation industrielle au niveau européen (mais en commençant par l'Hexagone), sur les secteurs terrestre (Nexter et Panhard en France), spatial (Thales Alenia Space et Astrium chez nous) et l'aéronautique, ce qui devrait favoriser l'émergence de vrais champions de taille mondiale et pérenniser l'indépendance technologique européenne. Bien sûr, en termes d'emplois, les gains ne seraient pas immédiats, les doublons étant actuellement assez importants entre les différentes entités concernées. Il est également intéressant de noter que de nombreux industriels de la défense ont adapté (une partie de) leur business model en se positionnant comme "fournisseurs de services" et moins comme "fournisseurs d'équipements / systèmes" : ceci permet de s'adapter plus facilement aux contraintes budgétaires fluctuantes de leurs clients publics.

Le Président de la République a également évoqué le retour de la France (mais de façon sélective, par exemple en excluant les aspects nucléaires) au sein du commandement intégré de l'OTAN (en avril 2009, pour les 50 ans de l'Alliance ?), en affirmant que cela pouvait permettre d'avancer sur le sujet de la Défense européenne. Notamment en établissant un meilleur équilibre des responsabilités entre Américains et Européens au sein de l'organisation atlantiste, base d'un positionnement stratégique pour l'UE. Au sein de l'OTAN, le leadership est clairement US, qui ont par ailleurs, comme base de leur doctrine, le "zéro dépendance" (technologique ou politique). De plus les États-Unis sont très réticents, même au sein de coalitions (Irak, Afghanistan), à abandonner leur position "d'initiateurs des orientations stratégiques", ou même à accepter des initiatives stratégiques d'autres parties prenantes. Ils sont meneurs et non suiveurs, et l'OTAN est clairement dans leur sphère d'influence (et Moscou ne s'y trompe pas)...d'ailleurs, pour eux, c'est le "with us or against us". Cela changera-t-il si Barack Obama est élu, rien n'est moins sûr.

Bref, il est évident que la Défense Européenne, pour des raisons de divergences politiques et industrielles, est difficile à mettre en place. L'alignement avec Washington et la réintégration à l'OTAN paraissent comme un choix de facilité à court/moyen terme pour le positionnement de la France sur la scène internationale (derrière le leadership américain). Mais au-delà de la moindre ambition française, redevenue une puissance moyenne "ordinaire", cela peut également, à plus long terme, impacter lourdement notre autonomie et la pérennité de notre industrie de défense (et bien sûr, par ricochet, sur tout un ensemble de domaines technologiques de pointe).

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